lundi 23 juin 2014

Trylle, t.1 : Échangée d'Amanda Hocking

Sympathique petite série fantastique, la saga Trylle repose sur le mythe du changelin, cet enfant que les fées placent en échange d'un petit humain enlevé par elles. Transposé dans l'univers contemporain, l'auteur joue sur les thèmes efficaces de l'identité, de la famille (biologique ou non), de la place dans la société, du jugement des autres, du choix de son futur,...
Pas de grande soupe à la thématique adolescente pour autant, le récit est bien construit, visant bien son public young adult,avec ce qu'il faut de romance et d'action pour accrocher aux personnages, particulièrement bien ambivalents. Seul bémol, l'utilisation du mot "troll", qui tombe comme un cheveu dans la soupe. pour le reste, on est dans de la bit-lit pour adolescents classique mais bien réalisée, accrocheuse et rafraîchissante.
Vous l'aurez compris,on n'a pas déniché ici la perle qui éclipsera le reste du catalogue de l'éditeur, mais plutôt une histoire sympathique, au bon potentiel, comme on aimerait en lire tous les jours pour être de bonne humeur et la tête pleine d'images d'ailleurs.

Beauté de Sarah Pinborough

Dernier épisode de la trilogie parue chez Milady, Beauté reste dans la lignée des deux précédents,mais avec quelques réserves. Tout d'abord, rendons les honneurs au format : un petit livre très joli, rendant hommage au talents des maquettistes de chez Milady (l'édition originale est nettement plus terne). Au prix où sont les livres, il est à apprécier que l'emballage soit aussi beau à contempler que le contenu à lire? Cela peut sembler superficiel, mais pour moi c'est un atout et une première invitation réussie.
Pour le contenu, je ne vais pas bouder mon plaisir : on retrouve l'entrelacs ironique de contes de fées télescopés et perversement remaniés. Néanmoins,  je le trouve un peu moins réussi que Charme, peut-être parce que l'auteur a du nouer les fils tressés précédemment et que le résultat est parfois artificiel... Cela reste cependant un excellent livre, la conclusion d'une trilogie que l'on offrirait bien en cadeau à tout-va, avant de la relire le soir en cachette. 
Quoi qu'il en soit, il est urgent de découvrir le reste de l'oeuvre de Pinborough, non ?

mardi 17 juin 2014

Charme de Sarah Pinborough

Le premier tome de la série, Poison, m'avait déjà impressionné par sa simplicité et sa décadence en filigrane, mais l'auteur force admirablement le trait avec la suite, Charme. Relecture du conte de Cendrillon avec une héroïne bien moins victimisée (et ses belles-sœurs moins diabolisées), le récit garde son dépouillement et sa ligne perverse. L'auteur prend bien garde de reprendre les éléments qui ont rendu le conte populaire (le rat, la pantoufle de verre, la marraine,...) et les teintant d'une dose d'humanité (et pas forcément les aspects les plus reluisants). Elle lie astucieusement le second tome au premier et enrichit ainsi sa galerie de personnages. Une belle réussite de concision et de tension sensuelle, à réserver aux lecteurs avertis. Qui aurait cru que Cendrillon serait à ce point coquine ?

dimanche 15 juin 2014

Les stagiaires de Samantha Bailly

Dernière lecture de Samantha Bailly (pour l'instant), avec les stagiaires, un roman mi-romance mi-roman de société, où l'on suit un groupe de stagiaires en entreprise et leurs émois sentimentaux. 
La couverture ne m'inspire que peu et donne une image des protagonistes qui me semble à l'opposé de celle donnée dans l'histoire. Dommage, je pense qu'une couverture plus classique (comme celle des milady romance) aurait bien mieux convenu...
Techniquement, l'auteur est au sommet de son art : des épisodes bien équilibrés, des arcs de développement intérieur et extérieur bien ficelés, un rythme soutenu et varié,... Cependant, j'ai un goût de trop peu dans la bouche, comme s'il y avait une certaine retenue dans le donné de l'auteur, comme si elle n'avait pas sorti ses tripes dans son premier jet. 
Peut-être aussi la faute à une trop grande ressemble à "ce qui nous lie", qui est nettement meilleur. C'est comme si on avait pris le même canevas, enlevé l'élément fantastique et comblé avec des intrigues secondaires bien construites. 
Il ne faut cependant pas se leurrer : ce livre reste un trop bon livre, mais il lui manque comme une âme pour habiter ce corps parfait que l'auteur a façonné. Quand on s'est habitué au caviar, difficile de revenir à quelque chose de plus classique, même si la qualité est là. Mais vu l'immense talent de l'auteur, on attendra le prochain ! 

Ce qui nous lie, de Samantha Bailly

Tout autre style qu'Oraisons, et une superbe histoire qui démontre que l'auteur a plus d'une corde a son arc (pour elle,on pourrait parler d'une mitrailleuse) et est autant à l'aise dans la romance paranormale que la fantasy.
On intègre ici une petite étude d'un thème accrocheur : si vous aviez un pouvoir étrange, qu'en feriez-vous ? L'héroïne s'en sert dans une optique de justice glaciale et impitoyable, se transformant lentement en une machine dénuée de sentiments. Perdra-t-elle toute humanité, emprisonnée dans sa vertu radicale ?
L'auteur a particulièrement bien travaillé sa technique : on suit ici parfaitement l'arc de développement de l'héroïne, avec un travail moral subtil et nuancé. Le décor est aussi particulièrement bien rendu, avec suffisamment pour ancrer l'intrigue sans noyer le lecteur dans une étude de milieu.
Bref, un excellent récit qui peut servir de modèle à tout apprenti-auteur, dans sa technique et dans sa sensibilité. Pour les lecteurs, on conseillera de se libérer quelques heures, car il sera bien difficile de le reposer une fois ouvert.

samedi 14 juin 2014

Oraisons (intégrale) de Samantha Bailly

Petite rétrospective de Samantha Bailly, cette prolifique jeune auteure française, qui n'en finit plus de nous pondre des chefs-d'oeuvre à tour de bras. 
Commençons par Oraisons, dans sa version intégrale publiée par Bragelonne. On sent tout de suite que l'ouvrage a été publié ailleurs et que la qualité du travail éditorial s'en ressent. Pourtant, la qualité de l'ouvrage est plus que potable, ce qu'il laisse penser que les collaborations futures avec cet extraordinaire éditeur cracheront feu et flammes dans le ciel de la littérature francophone.  
Bailly manie harmonieusement la romance et la fantasy classique, passant avec un bon sens du rythme de phases d'action haletantes à des moments posés, permettant plus de réflexion. L'originalité de l'univers est rafraîchissante,même si on peut regretter pas mal de scories et de dissonances, qui auraient pu être éliminées par un bon éditeur derrière. 
Oraisons n'est donc pas parfait, mais reste néanmoins un excellent roman dont le potentiel narratif est bien réalisé. On en vient à espérer un second roman  dans l'univers, qui laissera un excellent souvenir.

Les papillons rêvent-ils d'éternité ? de Sandra Labastie

Merci aux éditions Lafon de nous faire découvrir un récit poignant qui ne tombe par pour autant dans des longueurs pseudo-journalistiques ou du pathos pleurnichard. Personnellement, cette lecture réveille en moi différents "lecteurs" : le théologien amateur, le lecteur passionné et le croyant questif.
L'oeuvre nous fait pénétrer à l'intérieur d'un mouvement fondamentaliste qui n'a  de chrétien que le nom, mais le récit tourne autour de l'intériorité d'une jeune adolescente. Pas de démontage du système oppressif de la secte, mais un questionnement et de petites expériences de vie d'un prisonnier de ce système.
L'attrait du livre est précisément qu'il évite les embûches classiques de ce genre d'ouvrage engagé : on ne dénonce pas sans fin les travers des religions, on ne part pas dans de grandes digressions psycho-philosophiques, on ne se vautre pas dans le morbide et le malsain.
Non, l'auteur a privilégié une voix légère, un récit concret et une absence de parti pris. Pas de jugement manichéen mais une invitation à avoir de l'empathie pour des êtres humains qui se cherchent et parfois s'égarent.
Un roman tout en finesse et en poésie, subtil et touchant. Une belle découverte...

lundi 9 juin 2014

LE GARDE, LE POÈTE ET LE PRISONNIER de LEE JUNG-MYUNG

N'étant pas un fanatique de la littérature asiatique, j'étais un peu sceptique sur ma capacité à critiquer cet ouvrage. De plus, autant j'aime la poésie, autant j'en suis un profane irréductible et j'ai  un mal fou à en lire... 
Visiblement, le génie dépasse à la fois les frontières culturelles et les imitations de votre humble serviteur, car je ne peux que me retrouver admiratif et ébloui par un tel chef-d'oeuvre.
Ce livre fouille au plus profond de l'âme humaine, dans celle qu'elle a de plus souffrante et admirable. C'est de la vie dont on parle, celle qu'on arrache aux griffes de la mort à chaque souffle, qu'on espère malgré les privations et la peine, qu'on excave dans les tréfonds du chagrin. En le lisant, j'ai été assailli par les fantômes du docteur Mengele, de Rudolf Hoess et de tant d'autres bourreaux sanguinaires qui ont vainement tenté d'effacer l'espoir dans le coeur de mourants. On est ici à mi-chemin entre l'archipel du  goulag et le cercle des poètes disparus, entre une contemplation de l'horreur humaine et l'espérance jamais éteinte d'un souffle de vie.  
Bouleversant, glaçant, ce livre me laisse encore tout tremblant. Il ne laissera en paix aucun lecteur, tant il touche aux lignes de failles de l'humanité, mais aussi à la charité, faible étincelle tapie au fond de chacun  de nous. Magnifique et dérangeant...
Merci à l'éditeur de m'avoir fait découvrir une telle perle !

The Anatomy of Story: 22 Steps to Becoming a Master Storyteller de John Truby

Souvent présenté comme l'anti "writer's journey" qui encourageait la construction d'un récit selon un cadre prédeterminé d'étapes que l'on retrouve dans des récits mythologiques, le livre de John Truby se veut l'apologie d'une créativité plus morale et plus libérée.
A mon sens, le pari n'est pas parfaitement réussi. Il libère la constructiion d'intrigues des carcans des schémas traditionnels (étapes du voyage du héros, etc...) mais les remplace par d'autres qui ne sont guère plus souples. Ses arguments pour défendre son modèle ne sont pas inintéressants : son schéma est plus organique, le développement moral du héros privilégié par rapport aux événements (qui en découleront naturellement) et ses réflexions sur le concept de "révélations" sont très prometteuses.
Cependant, son système, qui se rapproche d'une grille de bingo évolutive si on l'applique à la lettre, découragera tout auteur qui n'aime pas structurer à l'avance. Ceux qui aiment tout établir avant d'écrire y trouveront leur bonheur, les autres auront devant eux, s'ils poussent jusqu'au bout l'exercice, une structure originale mais l'envie de l'écrire sera partie. 
Reste donc l'alternative de prendre l'ouvrage comme un ensemble de petits "trucs", de petites pensées incisives et pertinentes sur la logique d'un récit dramatique. En cas de blocage lors d'un premier jet, on jettera un oeil à la théorie pour avoir un coup de gouvernail, mais sans plus.
Cependant, l'ouvrage peut avoir tout son sens dans le cadre d'une réécriture ou en cas de sauvetage d'un jet boiteux. Cela demande un certain courage et une bonne dose d'obstination, mais on peut imaginer sauver ainsi une histoire condamnée en un récit tout à fait potable. 
Cet ouvrage est donc, à mon sens, une boîte à outils plutôt qu'un nécessaire de préparatifs pré-écriture. A consulter car il a une valeur incontestable, mais n'en faites pas votre Bible.

dimanche 8 juin 2014

No plot ? No problem ! De Chris Baty

Chris Baty est le fondateur du célébrissime NanoWriMo, cet exercice d'écriture collectif, qui essaie d'encourager un maximum de gens à écrire une nouvelle de 50.000 mots en un mois de temps. 
Ce livre est à la fois un retour critique sur l'expérience (et notamment la qualité des œuvres produites), mais aussi un guide pour réussir au mieux l'expérience d'une écriture sans stress et sans contrainte (hormis celle de temps qui devient alors un moteur.
L'auteur, contrairement à beaucoup, ne nous promet pas la création d'un chef-d'oeuvre immortel, mais nous encourage à terminer un premier jet, horizon lointain et bien trop souvent inaccessible. une multitude de petits conseils pour faire face au découragement ou à la pression des autres parsème l'ouvrage. 
La révision du premier jet n'entre pas dans le cadre de l'ouvrage, un inconvénient car il s'agit de l'étape qui transforme une oeuvre balbutiante en un texte fini, mais aussi un avantage car l'auteur, honnête, place ses limites et se concentre sur ce que son projet veut amener à faire. 
Pas de grande théorie analytique ici, mais un bon coup de boost pour rédiger ce premier jet tant convoité. Plus d'excuses valables pour ne pas se lancer ! 

La station Araminta de Jack Vance

Petit chef-d'oeuvre du maître qui exploite les différents goûts de Jack Vance : l'exotisme, les romances contrariées, les personnages haineusement bêtes et méchants et, cachée sous tout cela, la question lancinante du bien et du mal dans la société humaine.
Ne vous laissez pas leurrer par l'aspect comique et superficiel des aventures de Glawen Clattuc, chaque épisode met en avant de grandes questions qui, posées par une multitude de miroirs déformants, déroutent sur l'unicité de la nature humaine et du bon sens.
Les écrits de Jack Vance, à la fois intemporels et affreusement typés, font l'effet d'une douche nostalgique, fraîche et mélancolique. Histoire bien contée, délire permanent de l'auteur pour les détails allégoriques, images choisies et "méchants" de service bien souvent vainqueurs et puis punis, le cycle de Cadwal m'a laissé, quinze ans après une première lecture, une même impression de voyage impossible mais pourtant réalisé.